Embauche-un-vieux.com quand les séniors donnent un coup de neuf aux équipes
Sur le marché de l’emploi, on est « sénior » à partir de 45 ans. Bien que la durée de vie s’allonge, cette croyance ne change pas, pire, elle s’accompagne de discriminations à l’embauche et d’un fort taux de chômage chez lesdits séniors. Or, c’est bien cette croyance qu’Italo Pitis, fondateur de la plateforme de recrutement Embauche-un-vieux.com, tente de déconstruire avec humour. Non, les « vieux » ne sont ni dépassés ni incompétents : au contraire, ils constituent un vivier de talents sous-exploité. Et oui, l’entreprise intergénérationnelle est un modèle d’avenir.
La durée de vie s’allonge, les carrières aussi. Si le recul de l’âge de départ à la retraite peut sembler logique, l’équation éducation-travail-retraite ne fonctionne plus. Entrecoupées de période de chômage, de reconversions, de quête de sens, les carrières ne sont plus un long fleuve tranquille. Or, avec un taux d’emploi de 56,1 %, les séniors français se retrouvent sur le carreau, bien loin derrière nos voisins européens : l’Allemagne et les Pays-Bas culminent à 70 %. L’Irlande à 80 %. Chez nous, force est de constater que l’âgisme est le premier facteur de discrimination à l’embauche. Les quinquas seraient donc peu malléables, trop chers, pas dynamiques ? « Absurde ! », répond Italo Pitis. Ex-manager chez Danone, cet entrepreneur tout terrain a mené des missions en Europe et en Afrique du Nord, avant de poser ses valises dans les Alpes-Maritimes et de réaliser, à l’aube de la cinquantaine, que les cheveux blancs se faisaient rares dans les couloirs des entreprises.
Créateur de la plateforme Embauche-un-vieux.com, Italo Pitis affiche l’ambition de renverser la table. Interview.
Quand et pourquoi avez-vous créé la plateforme Embauche-un-vieux.com ?
Je me suis rendu compte que les entreprises les plus performantes sont celles qui sont multiculturelles et multigénérationnelles. Or, arrivé à la cinquantaine, je me suis demandé où étaient passées les têtes grisonnantes. Les statistiques du Darès et de l’OCDE ont confirmé cette intuition. En France, la catégorie des séniors actifs concerne 2 millions de personnes, et la moitié est sans activité. Entre 55 et 64 ans, 920 000 personnes sont sorties de Pôle Emploi et ne font plus rien. Elles n’ont pas de travail, pas d’indemnités chômage : c’est une catastrophe absolue. J’ai voulu m’attaquer à ce problème et j’ai lancé la plateforme en 2020, au moment de la crise Covid, afin de remettre les pendules à l’heure. Embauche-un-vieux.com fonctionne comme une vitrine et diffuse des informations sur le marché de l’emploi. Les candidats peuvent déposer leur CV et consulter les offres confiées par les entreprises qui recherchent les compétences des plus expérimentés, tous métiers confondus.
Pourquoi ce nom, « Embauche-un-vieux.com», alors que le terme « vieux » peut déranger ?
Le but n’est pas de heurter, mais de contrebalancer le mot « jeune » qui est sur toutes les lèvres. Le mot « vieux » n’est pas une insulte en soi, loin de là. Pour attirer l’attention du monde économique sur cet enjeu de société qu’est l’emploi des séniors, il était nécessaire de frapper les esprits avec un vrai mot, un mot qui résonne, qui fasse sens. Heureusement, l’immense majorité des recruteurs fait la part des choses et comprend bien le clin d’œil. Et l’humour est un trait d’union entre les générations. Les jeunes managers ou dirigeants trouvent ce terme plutôt drôle et décalé. Ils me font des retours très positifs et trouvent cette approche rafraîchissante.
Qui sont les séniors et à quelles difficultés sont-ils confrontés ?
Les quinquagénaires d’aujourd’hui sont des piliers intergénérationnels. C’est la première génération qui doit à la fois soutenir ses enfants, car ils font des études de plus en plus longues, et leurs parents vieillissants. Bien souvent, ils deviennent aidants ou doivent aussi leur apporter une aide financière. En clair, les quinquas soutiennent tout le monde. Sur le marché de l’emploi, on est considéré comme sénior à partir de 45 ans. Or les difficultés de recrutement augmentent par tranche de 5 ans. Entre 45 et 50 ans, c’est dur, mais on retrouve du boulot. Entre 50 et 55 ans, ça se complique. Au-delà, ça devient pratiquement impossible. Les séniors de 50 ans passent en moyenne 672 jours chez Pôle Emploi. Pourquoi ? Parce que la France est le pays de la mode et de la jeunesse. Une entreprise valorise toujours son côté « jeune et dynamique ». Dans l’inconscient collectif, la jeunesse porte des valeurs positives. C’est culturel et ce n’est pas le cas en Afrique ou en Asie. Là, le vieux est celui qu’on écoute. Il a de la sagesse. Par ailleurs, si on revient sur les quinze dernières années, les plans sociaux ont toujours favorisé le départ des plus âgés. C’est absurde, ils ont été formés tout au long de leur carrière, et ils partent au plus fort de leurs compétences. Le schéma est souvent le même. Les séniors perdent leur emploi aux alentours de 50 ans. Ils deviennent freelances, adoptent le statut d’auto-entrepreneur. Mais, arrivés en fin de droits, comme ils ne génèrent pas un chiffre d’affaires suffisant, ils repartent à la recherche d’un emploi salarié. Et là, l’accès est bloqué.
Quels sont les stéréotypes qui collent à la peau des séniors ?
Les jeunes responsables des ressources humaines ont du mal à recruter une personne qui pourrait être leur père ou leur mère. Ils n’apprennent pas ça dans leurs cursus de formation et l’âgisme est donc le premier facteur de discrimination à l’embauche. On a peur que les personnes expérimentées ne soient pas assez malléables, qu’elles ne se remettent pas en question. On craint aussi que les quinquas ne sachent pas utiliser les outils numériques. C’est fou, ce sont eux qui les ont mis en place ! Et puis, il y a la question du coût du travail. On craint que ces séniors n’acceptent pas un poste moins bien rémunéré. Mais c’est absurde ! Les postes sont cotés. Chacun est libre de l’accepter ou pas. Pourquoi porter un jugement de valeur en amont ? Pour aider l’emploi des jeunes après la crise Covid, le gouvernement a mis en place un programme doté de 9 milliards d’euros. C’est super et absolument nécessaire pour les jeunes, mais ça freine l’embauche des autres catégories. Récemment, un internaute a posté un commentaire sur ma plateforme que je trouve percutant : « Les séniors, c’est comme les éoliennes : c’est bien, mais chez les autres ».
Quels sont les avantages à recruter des séniors et à constituer des équipes intergénérationnelles ?
D’abord, c’est une évidence, mais c’est vrai : pour bénéficier de leur expérience et pour confronter les idées. Beaucoup d’entreprises ont des difficultés de recrutement et la plupart des dirigeants avec lesquels je suis en contact me parlent de consanguinité. On a tendance à chercher des salariés auprès des mêmes écoles, avec les mêmes diplômes. Aujourd’hui, les managers prennent néanmoins conscience que l’altérité est essentielle. Par ailleurs, si les séniors apportent de l’expérience et de la connaissance, ils véhiculent aussi de la sérénité. Ils ne cherchent plus à bâtir leur carrière, n’ont plus besoin de se positionner sur l’échiquier social. Ils apportent de la fraîcheur et de la stabilité dans les équipes, car ils s’engagent plus longtemps.
La formation est-elle l’une des clés pour favoriser l’embauche des séniors ?
En théorie, ils ont été formés. En France, nous avons des dispositifs de formation enviables. Pourtant, rares sont les entreprises qui investissent leur budget de formation sur les 50 ans et plus. Je trouve que ce n’est pas cohérent. Pour avoir dirigé des équipes pendant de longues années, je ne comprends pas que certains recruteurs confondent encore le prix d’un salarié avec ce que ses compétences vont générer en termes de retour sur investissement. La compétence a de la valeur. Elle n’a rien à voir avec l’âge.
Article édité par Ariane Picoche, photos : Thierry Mouchet pour WTTJ
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